Dès le début de ma carrière, on m’a enseigné que les auditeurs
internes ne devaient pas prendre pour argent comptant les informations qu’ils
recevaient et que nous devrions toujours prendre le temps de les vérifier. Pour
obtenir des réponses, il était important d’établir des sources fiables en
créant des relations de travail productives et ouvertes au dialogue. Ainsi,
nous pouvions établir la confiance, mais nous devions également nous assurer
que cette confiance était méritée.
La confiance ne dispense pas de vérification.
The Anti-Fraud Collaboration, une coalition de quatre
organisations dont l’IIA fait partie, a récemment publié un rapport de
leadership éclairé explorant de manière approfondie la notion que confiance et
vérification ne sont pas mutuellement exclusives. En examinant les méthodes de
détection et de dissuasion des fraudes aux états financiers, ou tout autre type
de fraude en l’occurrence, ce rapport met l’accent sur l’importance de la
pratique du scepticisme, ou du refus d’accepter aveuglément les informations et
pratiques observées.
Naturellement, nous ne devrions pas présumer le pire et nous
méfier de tout le monde. Cela peut conduire à la suspicion, laquelle peut se
révéler destructrice. La méfiance engendre la méfiance : les auditeurs qui
donnent l’impression d’avoir des soupçons se rendront compte rapidement que
leurs clients ne leur font pas confiance. Le moindre signe de méfiance de notre
part peut conduire à penser que notre seul but est d’utiliser les éléments
probants contre les autres parties, et en particulier nos
audités. Et bien que cela semble illogique, lorsque nous traitons les autres
comme si nous les suspections de fraude, ils seront moins susceptibles de se
montrer transparents et ouverts concernant les problèmes n’ayant aucun lien
avec celle-ci. Pire encore, lorsque nos actions trahissent que nous suspectons
une tentative de fraude, nos clients deviennent plus susceptibles de dissimuler
les informations dont nous avons besoin.
Est-il approprié d’accorder sa confiance aux clients d’audit ?
Cette question peut faire débat. Quoi qu’il en soit, une chose est
certaine : la méfiance systématique est une stratégie vouée à
l’échec ; tueuse silencieuse des relations audités-auditeurs.
Ironiquement, l’un des problèmes de l’approche de l’alliance
entre confiance et vérification est que, bien que nous ne devrions pas
systématiquement nous montrer méfiants à l’égard de nos clients, nombre d’entre
nous ont tendance à avoir trop confiance en eux. Même les plus objectifs parmi
nous ont des biais inconscients issus de leurs expériences professionnelles et
personnelles. Toutefois, les relations de confiance peuvent créer des biais
inconscients qui entravent notre capacité à réaliser notre travail avec
objectivité.
Les raisons de cet excès de confiance de la part des auditeurs
sont multiples : nous voulons nous montrer consensuels et comme je l’ai
dit, nous voulons établir et conserver des relations de travail productives. Et
en toute honnêteté, plus nous faisons preuve de scepticisme, plus nous pouvons
mettre du temps à boucler un audit. C’est inévitable : nous luttons soit pour
faire preuve de scepticisme professionnel, soit pour l’efficience de l’audit.
Il existe en outre un conflit inhérent entre les efforts pour maintenir de
bonnes relations et ceux qui consistent à poser les questions difficiles. De
manière subconsciente, tous ces éléments peuvent également conduire à une image
biaisée de l’auditeur.
Il est peut-être temps de nous montrer plus sceptiques à l’égard
de notre propre scepticisme professionnel.
Toutes les missions ont des dates butoirs. Nous devons donc
conserver un certain équilibre entre l’excès et le défaut de scepticisme. Elles
doivent être efficientes et efficaces. Nous ne pouvons donc pas continuer de
poser des questions et évaluer les preuves bis repetita. Néanmoins, il y
a un art et une science pour poser les bonnes questions, pour savoir quand
donner suite à leurs réponses et quand passer à autre chose. La logique froide
d’un test d’audit bien élaboré peut aider à trouver le juste équilibre entre la
confiance aveugle et la suspicion inutile. Toutefois, même les meilleurs tests
d’audit sont ouverts aux interprétations.
Conserver un niveau adéquat de scepticisme professionnel n’est
pas chose aisée. Nous ne pouvons pas le faire en suivant une simple checklist.
Il s’agit plutôt d’un état d’esprit qui doit être appliqué de manière générale,
de la conception du programme d’audit à la collecte et l’évaluation des
éléments probants. Tout au long de chaque audit, nous devons maintenir une
attitude qui dit : « j’ai beau apprécier ces personnes, j’ai beau
comprendre ce qu’ils me disent, je dois vérifier les faits de
manière indépendante et objective. » Mes croyances restent neutres tant
que la vérification n’est pas terminée. Je ne fais pas confiance ni ne me
méfie.
Il va sans dire que certains de nos clients préfèreraient que
nous leur fassions totalement confiance. Nos clients peuvent trouver difficile
de déterminer si nos positions émanent de suspicions ou du simple scepticisme.
Entre maintenir un degré de scepticisme professionnel sain et avoir une
attitude systématiquement suspicieuse, la ligne est très fine.
Aux yeux d’un client stressé, un simple entretien d’audit peut
s’apparenter à un interrogatoire, voire à une chasse aux sorcières. Nous devons
nous montrer prévenants face à ces inquiétudes. Toutes nos parties prenantes
doivent néanmoins savoir que lorsque l’audit interne arrive, il n’y a pas de
joker. Les auditeurs évalueront les éléments probants de manière indépendante et
avec un état d’esprit très objectif. Nous ne pouvons pas nous contenter de
preuves peu convaincantes sous prétexte que notre intuition nous dit que le
management est honnête. Nous devons mener chaque mission avec un état d’esprit
qui prend en considération le risque de fraude, peu importent nos expériences
passées ou nos croyances concernant l’honnêteté et l’intégrité du management.
C’est notre devoir envers les organisations que nous servons.
Je vous invite à prendre connaissance du rapport publié par l’Anti-Fraud
Collaboration intitulé « Skepticism
in Practice ». Celui-ci examine la
façon dont nous pouvons lutter contre la fraude en faisant preuve de
scepticisme, la menace que représentent les biais inconscients pour ce
scepticisme, la gestion des risques des technologies émergentes, la gestion des
crises et propose des actions clés pour encourager le scepticisme. La coalition
a également mis en ligne une vidéo d’information sur le sujet, dans
laquelle je discute de ces problématiques avec la vice-présidente de la
recherche et des initiatives de luttes contre la fraude du Center for Audit
Quality, lequel fait également partie de cette coalition. Pour conclure, le
site Web de l’Anti-Fraud Collaboration offre de nombreuses
autres ressources sur le scepticisme.
Comme toujours, je me réjouis de lire vos réactions.
Communication:
Richard F. Chambers, Président et CEO du Global Institute of Internal Auditors,
publie un article hebdomadaire pour InternalAuditor.org sur les questions et
tendances relatives à la profession de l'audit interne